13

Sa voix me parvient à travers la cloison.

« Il faut tout de même que tu leur envoies une carte. »

Évidemment. Évidemment, mais je n’arrive pas à me décider. Quelque chose bloque quelque part.

« Demain.

— Pourquoi demain ?

— J’ai la flemme aujourd’hui. »

Je l’entends frapper du poing sur son accoudoir.

« Tu es incroyable. Tu ne te rends pas compte qu’elles n’ont pas de nouvelles de toi ? Si tu marchais sur tes deux jambes, je comprends que cela ait une moindre importance, mais tu devines bien qu’elles doivent être inquiètes. Et puis, de toute façon, tu dois leur écrire. »

Évidemment. C’est à peu près la seule chose que je puisse me dire : évidemment.

« Je vais le faire. »

Elle soupire. L’existence d’Andrée la préoccupe plus que je le croyais. Andrée et la petite… Écrire une carte coûte si peu, et pourtant, cela me coûte tant.

J’ai attrapé une douleur dans les reins. Il faut dire que prendre un bain est déjà un véritable tour de force, mais, dans une cabine de douche grande comme un tiroir de table, ça tient du prodige.

« C’est le savon ou moi, dis-je, nous ne rentrerons jamais tous les deux ensemble.

— Ne change pas de sujet. »

Je rampe sous le jet en pivotant sur les rotules. Zut ! Je n’atteins pas les robinets. Je me tourne, retombe, entraîne les verres à dents, les brosses et une dizaine de milliers d’objets placés en équilibre sur le lavabo.

La voix inquiète de Claude me parvient :

« Mais qu’est-ce que tu fabriques ? »

Je rame dans les tubes et les flacons.

« Je fais le ménage. »

Je l’entends grommeler.

« Dépêche-toi, on va être en retard. »

Je règle l’eau chaude, me contorsionne, me retrouve à plat ventre, le jet d’eau entre les fesses.

« Mais qu’est-ce que tu as à hurler comme ça ? »

Dans un effort suprême, je tourne le robinet. Ma respiration reprend.

« Je me suis sodomisé moi-même avec la douche. Je ne souhaite ça à personne. »

Je l’entends rire, tandis que je repêche un bâton de rouge et manque périr noyé. Je ne rentrerai plus jamais dans une baignoire-sabot.

« Tu vas arriver à t’en sortir ? »

J’ai les genoux encastrés sous le menton, et, si je parviens à m’évader de cet endroit, ce sera avec la violence d’un bouchon de champagne.

« J’en suis à la phase de rinçage, tout va bien. »

Je l’entends tourner les pages de son livre. Elle me rabâche des passages entiers depuis hier.

« Tu savais que, même lorsqu’il avait pris une volée à la guerre, Ramsès II disait qu’il avait été vainqueur et le faisait inscrire sur les bas-reliefs ?

— C’était un as de la pub, dis-je. Elle menait déjà le monde. »

En fait, le seul moyen de rentrer dans cette bassine est de s’y prendre en deux temps.

« En plus, dit-elle, il s’octroyait les victoires de ses prédécesseurs. »

Ça y est, je suis arrivé à m’extirper du piège aquatique. Un léger mouvement de bascule et je chois avec délicatesse sur la serviette. Sur la serviette trempée.

« Je sors, dis-je. Je sécherai au soleil. »

Elle me regarde apparaître avec surprise.

« Pourquoi te baignes-tu dans le Nil ? »

J’enfile mon pantalon en tortillant des hanches, couché sur la banquette qui sert de lit.

« Tu embaumes, remarque-t-elle. On se dirait au printemps sous des lilas en fleur.

— J’ai renversé la bouteille d’eau de toilette. C’est une chance que tu aimes ce parfum. À mon avis, il ne va pas disparaître avant trois jours, c’est une très bonne marque. Tu vas pouvoir te régaler. »

Elle range son livre. Par le hublot de la cabine, le ciel bleu déferle.

« En avant, dit-elle, la vallée des Rois. Nous pénétrons dans le royaume des morts. »

J’enfile mon tee-shirt.

« Youpi », dis-je.